Chapitre 2

 

L’avant-veille de la Célébration, alors que les pourparlers se terminaient enfin sur le nouveau système d’évaluation et de partage des découvertes de récupération, plusieurs historiennes se levèrent pour demander que les œuvres d’art du Musée (le terme de Kélys avait été adopté dès la première journée des délibérations) fussent rassemblées dans un lieu où elles seraient accessibles à toutes, à l’abri des caprices des Familles ou de personnes individuelles. On pouvait dédommager les membres de l’expédition de Belmont en demandant à Wardenberg d’estimer globalement la valeur des matériaux utilisés pour les sculptures quand ce n’était ni du bois ni de la pierre. Quant aux tableaux et autres objets plus difficiles à évaluer, on pourrait peut-être les estimer selon l’échelle des valeurs en usage dans le troc habituel, pour le dédommagement…

« Mais qui s’occuperait de créer ce… nouveau Musée ? dit Ireyn de Wardenberg. Comment ? Et qui achèterait… échangerait les œuvres en premier ? Chaque Famille contribuerait ? »

Elle ne faisait pas ces propositions sérieusement, c’était évident à son intonation. Mais Kergoët se leva pour la prendre au mot : « Pourquoi pas ? C’est un peu ce qui a été fait pour la Patrouille et la flotte de l’Ouest. La quantité d’objets considérée est telle qu’il est absurde d’envisager leur partage entre les membres de l’expédition. Ne vaudrait-il pas mieux ne pas les séparer, les garder comme un témoignage du Déclin, dans un lieu unique ? »

Et où serait-il, ce lieu ? demandèrent des voix d’Escarra. Où qu’il se trouve, ce serait sur le territoire d’une Famille particulière. Se proposerait-elle ou serait elle choisie – par qui ? Et pour faire quoi ? Car enfin, pour mettre en valeur ces œuvres, il faudrait un édifice immense. Et il y aurait en plus toutes les tâches annexes, entretien, conservation, organisation des visites… On ne parlait pas d’un petit Sanctuaire, cette fois ! Qui dédommagerait cette Famille des frais encourus ? Une association interfamiliale, suprafamiliale ?

Le terme et l’idée suscitèrent aussitôt les protestations massives des Juddites, comme il fallait s’y attendre. Allait-on utiliser le prétexte de ces objets du Déclin pour essayer une fois de plus de pousser les Familles à abandonner encore une part de leur indépendance chèrement acquise ? Ces objets venaient du Déclin, ils n’avaient pas à être traités avec plus de révérence que n’importe quel autre artefact de récupération – au contraire. Non seulement étaient-ils totalement dépourvus d’utilité, mais les mains et les esprits qui les avaient conçus étaient celles du Déclin (l’emphase revenait avec une régularité de glas dans la voix sonore de Maine, la Mémoire de Névénici) et elles avaient assurément transmis quelque contamination délétère, de l’esprit sinon de la chair, à ce qu’elles avaient ainsi touché. À son avis, on aurait simplement dû les détruire.

On n’en attendait pas moins des Juddites et on protesta sans trop de passion inutile, comme d’ailleurs Névénici avait parlé pour la forme : les unes et les autres savaient qu’on ne détruirait certainement pas ces objets. (Et Maine en particulier ; elle devait parler pour sa Famille, non pour elle.) La surprise ne fut donc pas mince quand Tula de Béthély demanda la parole pour dire que Maine n’avait pas tout à fait tort et qu’il pouvait y avoir quelque danger attaché aux œuvres découvertes à Belmont. Lisbeï suffoquée allait protester, mais la main de Kélys sur son bras et l’intérêt amusé de son aura la retinrent.

« Un danger de l’esprit, en effet, et non de la chair. C’est ce que nous présente peut-être une découverte de cette taille. Et peut-être est-ce d’abord ce que nous devrions considérer. Jusqu’à présent, nous n’avons récupéré que des fragments du passé, des éléments parcellaires sans grand rapport entre eux, du moins en général. Ce qu’ils ont pu nous apprendre de surprenant ou d’inquiétant était toujours assez limité, nous avons toujours eu le temps de l’assimiler sans trop de heurts, même quand ils nous touchaient dans ce que nous avons de plus profond… » Elle laissa s’éteindre le léger murmure qui passait dans l’Assemblée à cette allusion sans équivoque au carnet. « … Avec cette découverte, non seulement les objets et surtout ces livres, même si ce n’est pas d’eux qu’il est question ici, c’est peut-être tout le Déclin, ou de larges pans du Déclin, qui vont soudain s’éclairer pour nous. Heureusement, il faudra du temps pour déchiffrer les livres, et je dis « heureusement » car le temps peut nous servir ici comme en d’autres circonstances de protection contre le choc d’un savoir trop étranger, et peut-être en effet non dénué de perversité, vu son origine. Ces objets, ces tableaux, ces sculptures, si nous les rassemblions en un seul endroit, auraient un effet de masse. Qui sait quel seuil critique serait atteint et dépassé alors dans les esprits et les cœurs de celles qui le subiraient ? Non, la seule façon d’annuler ou au moins de compenser les miasmes spirituels du Déclin, peut-être présents dans ces objets… »

Des rires discrets s’élevèrent dans les rangées de Brétanye. « Les miasmes spirituels du Déclin ? » souffla Lisbeï, incrédule, à Kélys, mais sans pouvoir se tromper sur l’approbation de l’exploratrice. « Ne me dis pas que tu lui as écrit son discours ?

— À peine suggéré les grandes lignes », répondit Kélys sans se démonter.

« Ne riez pas ! reprit Tula dans le silence revenu. Quels que soient nos désaccords esthétiques avec ce que le Déclin a pu considérer comme de l’art, vous avez toutes pu voir les quelques photographies faites à Belmont. Y en a-t-il une seule parmi vous qui n’ait été touchée par un objet ou un autre, une œuvre ou une autre ? Émue, scandalisée, surprise, horrifiée – mais touchée. Et, en sortant de la salle où leurs photographies étaient exposées, n’étions-nous pas toutes… bouleversées, accablées ou hébétées ? »

Le friselis des murmures était cette fois plutôt approbateur. Était-ce pour cela que Kélys avait insisté pour choisir elle-même la plupart des sujets des photographies ?

« Imaginez un édifice entier rempli de ces objets, alors – et je ne parle pas ici du coût considérable d’un tel « Musée » ni des problèmes techniques et matériels posés par sa création et son existence, que mes voisines d’Escarra ont fort bien soulignés. Non, la seule façon d’exorciser ces objets, ces œuvres, ces reliques du passé, ce n’est pas de les rassembler en un seul endroit, au contraire. Ce n’est pas non plus de les détruire – les Ruches l’auraient fait, mais nous ne sommes plus si aisément effrayées. C’est d’en faire un partage, oui, pas seulement entre les membres de l’expédition de Belmont et les autres ayants droit, mais entre toutes les Familles et à l’intérieur même des Familles, pour toutes celles qui le désirent. C’est de les faire entrer dans les réseaux d’échange. C’est de nous les approprier en leur donnant des valeurs qui soient les nôtres. C’est de les faire vivre à nouveau, aussi, en leur donnant une chance de rédemption comme nous avons eu nous-mêmes cette chance. Car si elles viennent du Déclin, nous en venons aussi, à travers les Harems, à travers les Ruches, ne l’oublions pas. Mais Elli a voulu que, contrairement à nous, ces œuvres soient soustraites au temps, et qu’elles réapparaissent maintenant sans avoir parcouru les mêmes chemins que nous dans la trame de Sa Tapisserie. Pensez-y, chacune de ces œuvres a sans doute été créée par une personne et une seule. C’est donc à chacune de nous que revient la responsabilité de les intégrer, une par une, au fil de notre vie, qui est aussi le fil d’Elli. »

Lisbeï ne pensait plus à protester ni à s’étonner. Elle écoutait l’écho en elle de la dernière phrase de Tula. Une dolore. Une gigantesque dolore non pour le Déclin mais pour celles qui l’avaient vécu et y avaient succombé, une dolore de renaissance, qui durerait aussi longtemps que les œuvres passeraient de main en main au fil des échanges. Oui.

Tula se rassit avec un soulagement visible – il lui était pénible de rester longtemps debout. Le silence dura encore un petit moment, puis Marine de Llétréwyn se leva à son tour : « Il faudra que chacune des œuvres soit photographiée, les photographies reproduites et mises en circulation. Cela va prendre vraiment beaucoup de temps, mais je suis d’avis aussi que la durée est ici un facteur positif.

— Ces œuvres changeraient de mains plus d’une fois, sûrement, dit la Mémoire de Maestéra d’un ton pensif. On aura ensuite un échange à l’échelle du Pays des Mères tout entier, de personne à personne, un échange semblable à celui de la Célébration. Et qui durera des années et des années.

— Et ce qui aura été échangé contre les œuvres la toute première fois pourra aller dans une sorte de fonds commun qui servira à dédommager celles qui feront le travail de photographie, de catalogage et de manutention, renchérit Kergoët.

— C’est-à-dire surtout Wardenberg », grommela quelqu’une de Cartano, mais personne n’y prêta trop d’attention ; on dédommageait bien Wardenberg pour la Schole, il n’y avait guère de différence.

Toutes les intervenantes employaient le futur, comme si la proposition de Tula avait déjà été soumise au vote et acceptée – ce qu’elle fut à la fin de la journée, avec une motion de Gualientes proposant que les membres de l’expédition et les autres ayants droit puissent choisir en premier, sans contrepartie d’échange puisque c’était une part non négligeable de ce qui aurait dû leur revenir qui leur échappait ainsi. Les ayants droit, consultées comme c’était la coutume, s’accordèrent à estimer que c’était une solution équitable. La plupart, à commencer par Lisbeï, s’étaient demandé avec effroi ce qu’elles feraient de tous ces objets si elles avaient à se les partager. Lisbeï préférait certainement quant à elle savoir ces œuvres et ces objets vivantes et circulant dans la trame du Pays des Mères que mortes et entassées dans un Musée. Elle aurait bien eu un « oui, mais » à opposer à ce qu’elle croyait deviner de concertation entre certaines intervenantes (sauf les Juddites, bien entendu), et pas seulement entre Kélys et Béthély…mais elle décida de le garder pour elle. Il n’était ni interdit ni répréhensible de discuter en dehors des sessions de l’Assemblée, d’échanger des idées ou d’avoir la même opinion sur un sujet précis. Il y avait des nuances. La stratégie, dans certaines limites, n’avait rien à voir avec le mensonge. Elle avait besoin de le croire, quand elle pensait à son entente avec Duarte et les Bleus.

La journée s’acheva donc dans la bonne humeur générale. Même les Juddites y succombèrent, et plusieurs vinrent trouver Tula après la fin de la session pour la féliciter de sa clairvoyance et de sa sagesse. Elle accueillit leurs compliments avec un sourire fatigué, encore assise dans la stalle de Béthély, attendant que la foule se fût un peu éclaircie dans les gradins et le parterre de l’Assemblée pour se mettre en branle elle-même. Après l’avoir observée de loin pendant un moment, Lisbeï décida qu’il valait mieux la laisser tranquille. Elle pourrait lui parler plus tard dans la soirée, à la réception offerte par les Entraygues aux ayants droit de l’expédition : un petit message passé de main en main venait de lui transmettre l’invitation, comme à ses compagnes.

Depuis l’arrivée de Tula, tard la veille de l’Assemblée, elles avaient à peine pu échanger deux mots. Elles s’étaient vues le matin de la session d’ouverture, au milieu d’une foule, s’étaient embrassées en hâte, avec maladresse – après une hésitation partagée. Lisbeï savait pourquoi elle avait elle-même hésité – Tula ressemblait tellement à Selva, une jeune Selva vulnérable, si pâle sous ces cheveux roux, si fragile avec ce ventre rond, comme un œuf à la coquille trop mince que le moindre choc aurait pu briser… Pourquoi Tula avait hésité, elle ne le savait pas. Mais, après tout, elles ne s’étaient pas vues depuis dix années. Lisbeï avait changé physiquement – elle dépassait Tula d’une tête, à présent. Elle s’était sentie soudain énorme, massive et maladroite devant elle, avec ses larges épaules, ses longues jambes, ses grandes mains calleuses, tous ces muscles encore durcis par quatre mois de fouilles presque ininterrompues. Dix années. Était-ce possible ? Elle avait passé dix années sans Tula. Y avait-il eu de l’embarras, un peu de honte dans sa propre hésitation, d’avoir pu vivre dix années sans Tula ? C’était peut-être aussi la cause de l’hésitation de Tula. « Toi et moi, ensemble. » Eh bien non, et elles avaient toutes les deux survécu, et que restait-il de toutes ces promesses, ces rêves, ces peines ? Deux étrangères, qui s’étaient regardées un moment sans bouger et qui s’étaient embrassées parce que c’était ce qu’elles devaient faire, ce qu’on attendait d’elles…

Et pendant les premiers jours de l’Assemblée, aux réceptions ou aux pauses entre les pourparlers, il y avait eu la même foule, ou une autre, mais toujours des gens entre elle et Tula, parce que Tula était la Capte de Béthély, parce que tout le monde essayait de rencontrer tout le monde avant la Célébration pour faire des propositions et conclure des accords, afin d’aborder la Célébration d’un cœur plus serein. Aujourd’hui, c’était l’anniversaire de Lisbeï. La veille, elle avait reçu un cadeau de Tula, une très belle boussole d’argent niellé, accompagnée d’un petit mot : Tula devait assister à la réception des Familles de Litale – personne n’aurait compris qu’elle s’en absentât pour une anniversaire, elle ne le disait même pas, cela allait de soi. Elle avait ajouté, d’une écriture un peu différente, comme lorsqu’on reprend après s’être longtemps interrompue : « Il y aura quelque chose d’autre pour toi demain. » De quoi avait-elle voulu parler ?

Et il y aurait encore une foule ce soir, à la réception des Entraygues, même si c’étaient des visages connus – justement, ce seraient des visages connus, mais d’elle seulement, rien que des noms pour Tula (et encore, si elle se rappelait les lettres de Lisbeï), des visages de sa vie à elle, Lisbeï, de sa vie sans Tula.

Elle se faufila au travers de la presse, le cœur lourd, les yeux baissés pour ne croiser le regard de personne, ne pas se faire piéger dans une conversation insipide, ne pas avoir à être Lisbeï-de-Belmont, ou Lisbeï-du-carnet, ou Elli savait encore quelle Lisbeï. Elle se retrouva hors de la tente sans encombre, puis, suivant la pente du terrain et le courant de la plupart de celles qui l’entouraient, sur le champ de Foire. C’était le tropisme habituel dans toutes les Assemblées : avant de passer à sa tente pour se rafraîchir et se préparer aux rituels publics de la soirée et de la nuit, on allait faire un tour dans son enfance. On allait flâner un moment entre les étales de l’Échange, en rêvant à ce qu’on pourrait offrir, s’offrir, se faire offrir. Mais Lisbeï n’avait encore rien à échanger cette année, et personne à qui penser non plus, de toute façon. Ou alors, les photographies de ce qu’elle choisirait sans doute dans les trésors de Belmont, ce tableau d’une jeune femme au ventre arrondi mais vêtue de bleu, de lourdes robes archaïques, lisant une lettre dans la lumière d’un jour enfui. Et cette petite statuette de pierre verte, d’une pâleur crémeuse, si fraîche dans la main, une danseuse aux bras sinueux, un énigmatique sourire sur sa face ronde aux yeux bridés. Seulement cela, s’étonnerait-on ? Mais elle avait décidé de se fier à ce qui l’avait arrêtée devant cette peinture, cette sculpture, lorsqu’elle avait parcouru avec Kélys et la photographe de l’expédition les rangées et les rangées accablantes du Musée (oui, Tula avait eu raison, accablantes). D’autres œuvres l’avaient saisie ensuite, mais elles se perdaient dans une sorte de brume. Ces deux-là avaient été les premières et se détachaient avec plus de clarté dans son souvenir.

Kélys choisirait un petit bronze, une main ouverte, dans la paume de laquelle s’entrelaçaient deux corps humains, une femme et un homme. C’était sans équivoque une main masculine mais, si le sculpteur inconnu avait eu ne serait-ce qu’un bref instant l’intuition de la danse d’Elli, on ne pouvait pas lui faire grief de son sexe, sans doute.

 

* * *

 

Lisbeï reconnut la voix avant le visage, malgré les quatre années écoulées. Non que le visage eût changé – la capuche rejetée en arrière dévoilait les mêmes traits aigus, finement ciselés sous le bouillonnement indiscipliné des boucles toujours noires, les mêmes grands yeux clairs étirés vers les tempes ; la lumière bienveillante des gazoles dissimulait les rides qui devaient tout de même les entourer maintenant, ces yeux – elle avait… quarante années, presque le même âge qu’Antoné – ou Selva réalisa Lisbeï, surprise, alors que la Bleue lui souriait avec une touche d’ironie : « Sommes-nous condamnées à nous rencontrer seulement aux Foires des Assemblées ?

— Il y a eu la Concertalle de Wardenberg.

— Je veux dire, tranquilles. Vous dites « incognito », en Litale, n’est-ce pas ? »

Elle le savait très bien, son litali était excellent. Lisbeï la dévisagea, s’exerçant à imiter l’impassibilité paisible de Kélys – elle y devenait de plus en plus habile. Comme Kélys, elle avait l’avantage de la taille – en particulier sur cette femme-ci. Qui ne paraissait pourtant pas petite, elle était si vibrante, comme un fouet, ou une corde d’arc… Sa lumière aussi vibrait, fourmillait, une aura électrique – grâce à Wardenberg, Lisbeï avait maintenant un terme adéquat pour décrire la sensation qu’elle éprouvait devant Guiséia d’Angresea.

La Bleue lui rendait regard pour regard, la tête un peu renversée, une lueur malicieuse dans les yeux. Sur sa gorge brune, à demi visible, le collier accrochait toujours des reflets bleus et rouges. Mais elle n’était plus la Mère ; ou du moins c’était sa deuxième-vivante, Coreyn, qui portait le titre à présent. Lisbeï rompit le contact la première, se passa la main dans les cheveux pour masquer sa défaite, jeta un regard circulaire sur la Foire.

« Échangerez-vous quelque chose cette année aussi ? » dit-elle, assez satisfaite du ton joliment désinvolte de sa voix, consciente de son malaise, ennuyée de penser que Guiséia les percevait sans doute. Pourquoi cette hostilité ? Cette femme ne lui avait jamais rien fait. Si elle avait été la Capte d’Angresea, ce n’était pas sa faute – une formulation un peu absurde mais qui exprimait bien ce que s’étonnait de ressentir Lisbeï. Ou bien la Capte d’Angresea était une autre, comme Lisbeï-de-Belmont, ou Lisbeï-des-Indépendantes. La Capte d’Angresea dans ses relations avec Béthély, ce que Lisbeï en avait appris par les nouvelles, les rumeurs, cette Progressiste discrète mais obstinée, cette habile politique, cette seconde fille qui n’aurait pas dû être la Mère, qui l’était devenue à la suite de l’accident mortel de sa cadette la Mère désignée, rien de cela n’avait à interférer avec cette femme qui l’observait, cette Bleue « incognito », comme elle l’avait dit. Qui était aussi la jumelle de Toller, une autre identité encore plus difficile à intégrer aux autres, mais surtout parce que Toller n’en avait jamais rien dit ni écrit et que Lisbeï n’arrivait pas à imaginer ce que pouvait être cette sorte de relation avec un homme. Elle faillit lui demander, impulsivement, si Toller était là aussi, puis se rappela que Guiséia n’avait pas encore répondu à sa première question.

« Comment avez-vous deviné ? » sourit la Bleue. Elle sortit d’une des larges poches de sa cape un paquet enveloppé d’une fine étoffe lustrée qu’elle écarta un peu, révélant une petite lanière de cuir incrustée d’éclats de pierres brillantes.

« Des sandales de Cyndrella, dit-elle avec un amusement indulgent. Je n’ai pas pu résister. C’est pour ma troisième, Sylvane. Elle les collectionne. »

Et une autre Guiséia. Mère attentionnée de plusieurs enfantes, pour compléter la galerie de personnages ! Lisbeï ne put s’empêcher de sourire de sa propre confusion et, comme souvent, cette ironie la rendit paradoxalement à elle-même. Guiséia, sans aucun doute sensible à son changement d’humeur, poursuivit dans le même registre sans coquetterie, sans provocation, simplement comme une femme au milieu de la Foire de l’Assemblée avec une autre femme qu’elle aimerait mieux connaître : « Qu’est-ce que vous allez faire, maintenant ? »

Pendant un très bref instant, Lisbeï éprouva une sorte de vertige, un sentiment de déjà vu : elle devait encore taire ce qu’elle s’apprêtait à faire, comme dix années plus tôt… Mais Guiséia termina sa question : « … Retourner à Wardenberg ? » Et Lisbeï réalisa qu’elle voulait parler d’un futur plus lointain que la fin de l’Assemblée. (La fin, cette fois-ci, pas le début…Elle avait estimé avec Kélys et les autres que ce serait le moment le plus propice pour leur intervention). Avec un soupir, elle se remit en marche, sans même regarder si la Bleue lui emboîtait le pas.

« Oui. Après Belmont, bien entendu.

— Bien entendu. »

Bien entendu. Pas de retour triomphal à Béthély. Comment avait-elle pu entretenir cette fantaisie enfantine ? Plus tard, beaucoup plus tard et seulement peut-être, ce retour à Béthély. Il y aurait Belmont auparavant, les photographies, les livres, le catalogage, l’évaluation, le partage… Et ensuite, les Indépendantes, la Tribune, oui, Wardenberg. Quelques voyages, pour rencontrer les autres Indépendantes qui s’étaient signalées par des lettres et des articles. Des conférences à organiser, sans doute. Et le déchiffrage du carnet, de temps en temps, en récompense.

« Ça ne semble pas vous enthousiasmer, remarqua Guiséia, sans moquerie, plutôt avec sollicitude.

— Seulement la fatigue.

— Oui, acquiesça l’autre, pensive. La campagne a été plutôt éprouvante. »

Elle se retourna vers Lisbeï qui était restée figée sur place. Elles se regardèrent, Guiséia d’abord un peu étonnée, puis essayant un sourire presque d’excuse : « Kélys. »

Lisbeï se remit en marche, de nouveau irritée. Kélys parlait d’elle en son absence. Kélys connaissait assez cette femme, cette ex-Mère d’Angresea, pour lui parler d’elle, pour lui dire…

« Que vous a-t-elle dit, exactement ?

— Je connaissais Dougall aussi. »

Lisbeï se rendit compte qu’elle ne pourrait pas soutenir son irritation bien longtemps : il y avait dans la voix attristée de Guiséia trop de sous-entendus – non, pas vraiment des sous-entendus, simplement un constat. Mais qui suggérait tant de choses à Lisbeï que la curiosité allait l’emporter, l’emportait : « Depuis longtemps ?

— Je l’ai rencontré l’année où il n’a pas été choisi. Pauvre petit. »

Elle semblait sincère. Pourquoi aurait-elle essayé de feindre ? C’était une Progressiste. Et surtout la sœur de Toller. Elle devait avoir les mêmes sentiments que lui sur la situation des hommes.

Elles continuèrent à marcher lentement, du même pas, sans échanger d’autres paroles, soudain réunies dans la foule par ce qu’elles partageaient. Elles arrivèrent bientôt au miroitement morcelé de la rivière. Sur l’autre rive, un grand feu avait été allumé ; des silhouettes noires se croisaient dans son éclat fauve ; des lambeaux de musique arrivaient avec le vent, flûtes acides, guitares emportées par les mélodies frénétiques de l’Escarra, cliquetis insistant des castagnas. Les hommes dansaient, entre eux, dans leur camp de l’autre côté de la rivière.

« Les avez-vous déjà vues ? demanda Guiséia d’une voix rêveuse. Celles d’Escarra, quand elles dansent ? »

Oui : les tailles sanglées dans les larges ceintures, les dos cambrés, les têtes fières, la sommation dédaigneuse et pourtant impérieuse des mains, des doigts toujours en mouvement, et ces visages lointains, même au milieu des déchaînements les plus explicites.

Seules les femmes d’Escarra dansaient ainsi en public, bien entendu. Jusqu’à cette nuit, Lisbeï avait ignoré que les hommes d’Escarra, eux aussi, dansaient ces danses-là.

Une présence se matérialisa soudain près d’elles. Kélys. Guiséia ne parut pas surprise. Juste un peu ennuyée, peut-être ?

« Ils dansent, dit-elle simplement.

— Ils se préparent, répondit Kélys.

— Duarte s’est décidé, alors.

— Oui. »

Elles se turent. Tant d’allusions en quelques mots. Lisbeï hésitait, au bord de l’irritation. Duarte recommandé par Toller, Guiséia sœur de Toller, tout ce monde à Entraygues, et elle n’avait pas pensé que Guiséia, l’ancienne Capte d’Angresea, pouvait être déjà au courant ! Y en avait-il d’autres, des Captes, prêtes à appuyer la requête de Duarte le dernier jour de l’Assemblée, ignorant – comme elle l’avait ignoré jusque-là – qu’elles faisaient partie… de quoi ? Le terme exact était-il « conspiration » ? Ou peut-être « mouvement » ? Les perspectives possibles firent oublier à Lisbeï sa blessure d’amour-propre. « Décidé »… Était-ce à cause de Dougall ? En arrivant au site, Duarte avait dit qu’il se rendait à Entraygues. Sa décision n’avait-elle pas encore été vraiment prise ?

Elle demanda pourtant autre chose à Guiséia : « Vous connaissez Sergio, aussi ? »

La jeune femme hocha la tête : « Il faisait sa première année de Service en Escarra, à Gualientes. Des renégates l’ont enlevé. Duarte et Toller l’ont ramené. »

Elle n’en dit pas plus, comme si elle avait su que Lisbeï n’en aurait pas besoin pour imaginer le reste de l’histoire, ou du moins une histoire. C’en était pourtant une qu’elle n’aurait pas crue possible. Des renégates ? Des renégates enlevaient des Rouges ?! Mais pour quoi faire ?

« Il y en a pas mal, dans le Sud, dit Guiséia, se méprenant sur sa stupeur. Elles s’organisent parfois. »

Et les patrouilles étaient là pour surveiller les limites des Mauterres, pas pour mener des expéditions contre ce qui s’y trouvait, même des renégates. Même des renégates organisées ? Lisbeï murmura : « Mais la Patrouille…

— Ce serait la solution, Lisbéli, demanda Kélys. D’avantage de patrouilles ? »

Lisbeï n’en était pas encore là. Elle essayait de se faire à l’idée de renégates organisées. « Mais pourquoi enlever un Rouge ?! »

Kélys la considéra un instant sans parler : « Elli ne nous a pas faites naturellement résignées, Lisbéli, dit-elle enfin, ou sinon Garde n’aurait eu aucune raison de venir parmi nous. »

Ce n’était pas la première fois, pensa soudain Lisbeï avec un petit sursaut intérieur. Il y avait des renégates qui s’enfuyaient sans intention de mourir ni de revenir comme Loï – et qui n’étaient pas stérilisées. Enlever un Rouge pour… Dans des Mauterres ? C’était presque impossible à imaginer. Tant de haine, tant de désespoir, tant de mépris… Et il y avait les vraies renégates aussi. Celles qui tuaient. Ou celles comme Aléki. Qu’on envoyait dans des Mauterres, et qui y restaient. Des renégates, organisées.

Elle regarda l’autre côté de la rivière, les silhouettes noires qui dansaient devant le feu. Elle pensait à Dougall. Elle pensait à Fraine, qui avait dit parfois, la deuxième année de son Service… Elle pensait à Loi, qui l’avait fait. Elle pensait à Gerd, et à Myne.

« Non, dit-elle à mi-voix, répondant à la question de Kélys dont l’écho continuait à résonner dans son esprit. Davantage de patrouilles, ce n’est sûrement pas la meilleure solution, ni la seule. »

Elle sentit un mouvement près d’elle : Kélys se tournait vers Guiséia – Kélys approbatrice, Guiséia sceptique. Quoi, avaient-elles fait des paris sur sa réponse ? Lisbeï en fut agacée mais elle était frappée en même temps par la découverte de ses ignorances, d’autant plus qu’elles se révélaient au cœur même de ce qu’elle avait cru savoir depuis longtemps. Elle se retourna vers les deux autres. « Toute une éducation à faire, eh ? » dit-elle, pensant soudain, sans savoir pourquoi, à Toller.

Guiséia parut surprise mais charmée, Kélys seulement amusée : « À compléter, tout au plus », dit-elle avec sa nonchalance aimable. Elle désigna du menton l’autre côté de la rivière : « Aimeriez-vous les voir de plus près ?

— On peut ? dit Guiséia, étonnée.

— Maintenant, on peut », répondit Kélys.

Quelques heures après, Lisbeï se rappela la réception des Entraygues et Tula. Mais il était bien trop tard pour s’y rendre.

 

* * *

 

Tout se déroula comme prévu le dernier jour de l’Assemblée, à partir du moment où Lisbeï se leva dans la stalle de Béthély où l’avait accompagnée Duarte dissimulé par sa cape et son capuchon bleu. Les principales affaires intéressant Béthély ayant été traitées, Tula était repartie quelques jours après la Célébration, laissant Méralda s’occuper du reste et apprendre. Lisbeï en avait été à la fois déçue et soulagée : elle n’avait toujours pas eu l’occasion de lui parler de façon sérieuse – mais elle n’aurait pas non plus à lui expliquer pourquoi elle désirait se trouver dans la stalle de Béthély le dernier jour de l’Assemblée avec une de ses compagnes. Tula le lui aurait sans doute demandé. Méralda ne posa pas de questions.

La Capte de l’Assemblée parcourait les gradins du regard, par acquit de conscience, après avoir posé la question traditionnelle, et elle se préparait déjà à prononcer la bénédiction d’adieu. Ce fut sans cacher sa surprise mécontente, avec un soupir ostensible, qu’elle accorda la parole à Lisbeï. Celle-ci prononça rapidement le petit discours d’introduction qu’elle avait préparé, puis se rassit tandis que Duarte se levait et rejetait son capuchon en arrière. La stupeur de l’Assemblée n’avait pas encore commencé de se transformer en murmures quand il prit la parole, de sa voix forte et rocailleuse, qui portait loin. Il eut même le temps de terminer sa requête : « Nous proposons que les Jeux soient rendus plus accessibles aux Verts ainsi qu’à tous les Bleus et aux Rouges non en Service, en particulier pour la parade. » Après quoi on passa à la seconde phase prévue : exclamations, cris, protestations. Duarte se tut et croisa les bras, la tête baissée. Lisbeï se leva et en fit autant, ainsi que Méralda après une hésitation dont la brièveté étonna tout de même Lisbeï. Toutes les Bleues de l’expédition de Belmont en firent autant, dans les stalles de leurs Familles respectives où elles avaient demandé à assister à la fin de l’Assemblée. Et peu à peu, ici et là, dans des stalles de Brétanye et de Baltike, des silhouettes rouges ou bleues se dressèrent aussi – celles qui avaient été au courant, comme Guiséia, ou peut-être au courant, comme celles de Llétréwyn, ou simplement celles qui étaient prêtes à reconnaître à un Bleu le droit d’être au moins écouté, à l’Assemblée des Mères comme n’importe où ailleurs.

Le silence finit par se faire, comme prévu, et Duarte put présenter sa plaidoirie. Non sans être interrompu par les arguments prévus, auxquels répondirent les contre-arguments et les nouvelles vagues de protestations, et les questions, les nouveaux arguments, les objections… Toutes prévues. C’était sans doute d’avoir essayé d’envisager toutes les possibilités avec Duarte et les autres, au cours des haltes sur la route d’Entraygues, qui donnerait à Lisbeï cette impression de routine. Une discussion presque comme une autre, plus animée qu’une autre, certes, et soulevée par un homme, – et dont on se serait bien passée à la toute fin de l’Assemblée – mais, somme toute, une discussion. Les prévisions les plus pessimistes du groupe ne se réalisèrent pas : on n’essaya pas de jeter Duarte hors de la tente de l’Assemblée (une Juddite le proposa mais sa voix se trouva noyée dans le tumulte général de surprise et de curiosité). On le laissa parler, malgré les interruptions. Et lorsque vers la fin une voix s’éleva pour crier au scandale et demander la punition du Bleu qui avait ainsi osé enfreindre les procédures de l’Assemblée, elle ne trouva guère d’échos. C’était la première fois qu’une telle chose arrivait : allait-on encore prolonger l’Assemblée pour décider quel châtiment conviendrait ? Par ailleurs, il était évident qu’il avait eu des complices – combien de temps en plus pour décider de leur punition ?

On pouvait dire aussi qu’il avait eu des partisanes, des alliées, et non des moindres, déclarèrent d’autres intervenantes. Il avait présenté quantité d’arguments pleins de bon sens. Il n’avait pas eu d’autre recours que d’agir comme il l’avait fait, ce qui soulignait une évidente lacune dans la procédure non seulement de l’Assemblée des Mères, mais peut-être aussi de celle des Familles. On protesta ; mais avec moins de vigueur que ne l’avait prévu Lisbeï. Fatigue, lucidité ? L’une causant l’autre, peut-être… Enfin, tout ceci allait devoir être présenté aux Assemblées des Familles. Il était certainement plus important pour leurs représentantes d’y retourner, justement, que de rester là à débattre d’une punition qui ne serait peut-être pas appliquée si les Familles décidaient que le Bleu en question avait eu raison.

On finit par s’accorder sur ce point, bon gré malgré, et Crisanne de Selonges, au soulagement général, prononça vers onze heures du soir la bénédiction qui aurait dû libérer l’assistance à dix heures du matin. Ce fut donc à la lueur des flambeaux que les membres de l’Assemblée traversèrent les rangs de plusieurs centaines de Bleus silencieux qui s’étaient rassemblés pour attendre leur sortie, et les rangées de spectatrices diversement perplexes, curieuses, inquiètes ou irritées. Les discussions étaient allées bon train hors de la tente de l’Assemblée comme à l’intérieur – entre Rouges, Bleues, Vertes et Verts, puisque les Bleus de leur côté avaient scrupuleusement observé la consigne du silence. Elles ne cessèrent pas quand la tente se fut vidée. Cette nuit-là, à Entraygues, personne ne retrouva son lit avant les petites heures de l’aube.

Je ne croyais vraiment pas que ce serait si facile, écrirait pourtant Lisbeï, tombant de sommeil mais consciente qu’elle venait de vivre un moment sans doute historique. Elle était étonnée, presque déçue, constata-t-elle avec un amusement lointain. Ce qui s’était amorcé ce jour-là apporterait sûrement plus de changements au Pays des Mères que le carnet, et pourtant on n’avait pas dirigé contre Duarte et ses partisanes autant de féroce énergie que contre elle, dix années plus tôt. Elle était trop fatiguée pour se demander pourquoi, et se contenta de le noter.

Elle vit ressurgir un peu de cette « féroce énergie » et elle ne l’apprécierait guère, le lendemain, quand elle fut prise à partie par un groupe de Litale, des Juddites mais aussi des Croyantes plus modérées. Et elle entendit des commentaires ici et là sur le champ de Foire et le terrain des Jeux, vit les regards qu’on lui lançait parfois.

Elle aurait pu retourner à Wardenberg en compagnie de Fraine et des autres ; elle aurait pu retourner sur le site avec les Bleues de l’expédition. Mais ces perspectives ne lui souriaient guère. Elle se sentait accablée à la seule pensée de revoir les rangées de livres, les empilades de tableaux, les amoncellements d’objets hétéroclites. Béthély, il n’en était sans doute pas question. Et Wardenberg… pas tout de suite ! Elle avait envie… de changer d’air, non de revoir ce quelle connaissait déjà. Aussi, avec soulagement, avec gratitude presque, elle accepta l’invitation de Guiséia à venir passer quelque temps à la Capterie d’Angresea.

Chroniques du Pays des Mères
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